L’EXPRESS : Pourquoi LVMH ne veut plus se marier avec Tiffany & Co

Le 10 septembre 2020

Pourquoi LVMH ne veut plus se marier avec Tiffany

Par Sébastien Pommier, publié le 10/09/2020 à 18:15

afp.com/STEPHANE DE SAKUTIN

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Si l’annonce du mariage avorté entre LVMH et Tiffany secoue les milieux d’affaires, en coulisses, les liens s’étaient distendus depuis plusieurs mois.

« En réalité, cela fait trois mois que LVMH essaie d’annuler le deal avec Tiffany ». Après les communiqués officiels des deux camps en milieu de semaine, les langues commencent à se délier comme le montre cette confidence d’un analyste financier. Chez LVMH, on pointe du doigt les mauvais résultats financiers du joaillier américain pour expliquer la brusque rupture de fiançailles à près de 15 milliards d’euros. 

Et on ne peut pas totalement donner tort au géant français du luxe. Dans sa dernière communication financière, publiée le 27 août dernier, Tiffany reconnaît une contraction de ses ventes liée au Covid-19. « La société est revenue à la rentabilité au deuxième trimestre de 2020 grâce à des améliorations significatives des ventes de mai à juillet. Mais les ventes nettes mondiales pour le trimestre étaient de 29% inférieures au deuxième trimestre de l’année précédente, après avoir reculé de 45% sur le premier trimestre 2020 », détaillait ainsi la direction du joaillier. Au total, la prestigieuse enseigne new-yorkaise a vu son chiffre d’affaires se contracter de 37% sur les six premiers mois de l’année. 

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« Tiffany, c’est la bague de fiançailles par excellence des Américains. Comme partout, il y a eu moins de noces cet été, ce qui touche directement son activité. Mais ils font 50% de leur chiffre d’affaires aux Etats-Unis, l’effet est donc essentiellement conjoncturel. Je ne vois pas pourquoi leur business serait plus touché qu’un autre en dehors d’un effet de paupérisation de la classe moyenne américaine », analyse Arnaud Cadart, gérant de portefeuille chez Flornoy et spécialiste du secteur. 

Du reste, côté LVMH, avec cet effet Covid sur l’activité, on était moins enclin à payer 135 dollars par action comme c’était prévu initialement dans le deal. Mais plutôt que de revenir à la table des négociations, le groupe n’a pas montré beaucoup d’envie à conclure l’affaire. « Depuis l’épidémie, le dialogue est presque inexistant, c’est très étonnant. Les managers, des deux côtés, n’ont pas montré d’entrain à faire avancer les choses », explique un acteur proche du dossier. 

Mauvaise surprise sous le capot

Depuis que le rapprochement s’est opéré à l’hiver dernier, des problèmes auraient été identifiés par les équipes de Bernard Arnault. D’abord, en ouvrant le capot des comptes de Tiffany, LVMH se serait interrogé sur la nature de certains contrats, notamment les baux commerciaux des boutiques qui dégraderaient fortement le modèle économique du joaillier.  

Un autre frein majeur touchait l’actionnariat et le management. La direction de Tiffany est très éloignée du profil de LVMH. Pas de famille historique à la barre mais une dizaine de fonds d’investissement aux manettes (Vanguard Group, Qatar Investment Authority, Lone Pine Capital, JP Morgan Investment…), pas de patron emblématique avec qui créer une relation étroite, la direction tricolore aurait même observé au fil des mois une baisse de motivation de la part des managers américains, ces derniers pouvant légitimement être inquiets de ne pas faire partie de l’aventure future.  

« Les deux cultures ne se sont pas rencontrées et LVMH a fini par se dire qu’il fallait faire autre chose de leurs 16 milliards d’euros », explique un observateur avisé. « C’est vrai que l’on ne sentait pas beaucoup d’engagement de la part des deux camps depuis le début de la crise sanitaire. Les deux secteurs n’ont absolument pas les mêmes enjeux, mais si l’on compare à l’autre mariage en cours entre PSA et Fiat, c’est flagrant. On n’a jamais perçu cette volonté de travailler ensemble pour surmonter le coronavirus », ajoute Arnaud Cadart.  

Vu la tournure explosive que prend le dossier, sur le plan juridique avec des attaques croisées, mais aussi géopolitique avec l’intervention du Quai d’Orsay, plus personne sur le marché ne croit aujourd’hui que le mariage puisse encore être sauvé.