LA SECONDE MAIN : UN NOUVEL ELDORADO DU LUXE ?

Le 2 juin 2021

CHALLENGES.fr

Par Valérie Xandry le 02.06.2021 à 12h19

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Monnier Frères vient de lancer son service de seconde main, un créneau particulièrement dynamique dans le secteur du luxe. Et qui contribue par ricochet à la bonne santé des marques sur le marché du neuf.

Acheter un produit d’une marque au nom prestigieux pour la moitié de son prix? Une idée séduisante. Et effectivement, le marché de la seconde main cartonne dans le secteur du luxe. Un engouement que la plateforme de e-commerce Monnier Frères qui rassemble quelque 90 marques de luxe dont Balenciaga ou Isabel Marant a bien repéré. Elle vient de lancer un service de seconde main, en partenariat avec la start-up Reflaunt. « Ce service s’inscrit dans la continuité de ce que l’on propose, explique Dia Elyaacoubi, qui dirige Monnier Frères. Il s’agissait de répondre à l’attente de plus en plus forte de nos consommateurs vis-à-vis de l’impact écologique. »

Synonyme d’économie circulaire, le marché de l’occasion a bonne presse, notamment auprès des jeunes générations. Alors pour Monnier Frères qui tire 65% du trafic sur son site des millenials et membres de la génération Z, la mise en place de ce service de seconde main allait de soi. L’occasion dans le luxe est d’ailleurs un moyen d’aborder « une clientèle plus jeune, notamment en Occident », note Arnaud Cadart, gérant de portefeuilles chez Flornoy. D’autant que les jeunes générations « considèrent que ce n’est pas tabou d’acheter un produit d’occasion ».  L’argument écologique étant la cerise sur le gâteau économique. « Un produit vendu neuf à 1.000 euros pourra être acheté d’occasion 300 euros trois ans plus tard et pourra être revendu de nouveau 150 euros par la suite: au final, le coût total de possession est vraiment faible », détaille Arnaud Cadart.

Un marché à 28 milliards

Le marché de l’occasion de luxe a pris son envol. Bain & Company l’estime ainsi à 28 milliards d’euros en 2020, contre 26 milliards en 2019. « Si les ventes de seconde main sont un phénomène historique dans l’horlogerie et la joaillerie, on constate une accélération très forte de l’occasion dans la mode et la maroquinerie depuis 5-10 ans », ajoute Arnaud Cadart. Une accélération qui s’explique en partie par l’explosion des plateformes. Vinted, Vestiaire Collective, The RealReal… les acteurs digitaux  permettent une fluidité de la mise en relation entre l’offre et la demande. « Via notre partenariat avec la start-up Reflaunt, ce sont 30 millions de consommateurs qui sont touchés via les différentes marketplaces lorsqu’un article est remis en vente sur notre site », indique Dia Elyaacoubi.

Comme l’article initial a été acheté sur Monnier Frères, sa revente est également facilitée pour le client puisque les caractéristiques techniques du produit sont déjà renseignées. Sans compter que cela lui procure un acte d’authentification fort. Un enjeu central pour crédibiliser les plateformes de seconde main tant auprès des clients que des marques de luxe inquiètes des risques de contrefaçon. En 2018, Chanel avait lancé des actions en justice contre deux plateformes de seconde main, dont The RealReal, estimant que des produits contrefaits avaient circulé sur ces plateformes.

Un positionnement prudent des marques phares

Les acteurs phares du secteur observent le phénomène de l’occasion mais restent prudents dans leur positionnement. Dans une interview accordée au journal américain Women’s Wear Daily, Antoine Arnault, à la tête de la communication et de l’image de LVMH (actionnaire de Challenges), indiquait que « pour le moment, nous resterons à l’écart du marché de l’occasion » tout en reconnaissant qu’il s’agit « définitivement une activité florissante ». « Mais nous avons des produits extrêmement durables et nous les réparons. Nous allons pour le moment nous en tenir à cela et proposer de nouveaux produits aussi beaux et des collections aussi créatives et palpitantes que possible », a-t-il insisté. A l’inverse, Kering a fait une petite incursion sur le créneau en investissant dans Vestiaire Collective avec une participation de quelque 5% et en étant représenté au conseil d’administration. « Le luxe de seconde main est désormais une tendance réelle et profonde, en particulier parmi les jeunes consommateurs, avait expliqué François-Henri Pinault début mars. Plutôt que de l’ignorer, nous voulons au contraire saisir cette opportunité pour continuer à améliorer les services proposés à nos clients et orienter l’avenir de notre secteur vers des pratiques plus innovantes et plus durables. »

Reste que les marques phares du luxe retirent déjà un avantage du marché de l’occasion, selon Arnaud Cadart. Justement car ces produits extrêmement durables peuvent être revendus avec une cote avantageuse sur les sites de seconde main. « Cela donne une force incroyable aux marques les plus exclusives », juge le gérant de portefeuilles. « Cette valeur résiduelle a permis à Vuitton de cartonner sur ses ventes l’année dernière ». Les ventes de Louis Vuitton ont ainsi enregistré une croissance organique à deux chiffres sur les deux derniers trimestres 2020. Ces achats pensés à long terme bénéficient au marché du neuf pour les marques les plus exclusives mais aussi à la seconde main puisque le produit pourra très bien connaître une troisième vie en étant revendu par la suite. Au final, c’est le créneau de l' »affordable luxury », moins cher mais moins durable, qui pourrait pâtir de cet engouement pour l’occasion.